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Le gouvernement d'entreprise. Interview de Pierre Yves Gomez, professeur à l'EM Lyon.

Pierre-Yves Gomez,
professeur à l’EM Lyon,
Directeur de l’IFGE
(Institut français de gouvernement des entreprises)

 

Le gouvernement d’entreprise

En cette période de crise, la gouvernance d’entreprise est importante. Selon-vous, quels sont les bons élèves ?

Pierre-Yves Gomez : C’est une question à laquelle je me garderais de répondre parce que chaque cas d’entreprise doit être compris dans son contexte, son histoire et ses spécificités. Je citerai donc des exemples, assez connus et, me semble-t-il à juste titre.

Le groupe Auchan, parce que l’organisation de la transmission du capital familial se double d’une exigence en termes d’engagement et de participation réelle des actionnaires au développement de nouvelles structures du groupe qu’ils doivent prendre en charge. On évite ainsi le capitalisme de rentiers passifs.

Je citerai aussi Essilor pour sa capacité à se développer en jouant de son actionnariat salarié dominant. C’est un bel exemple de capitalisme participatif et une preuve qu’il est possible de combiner propriété des salariés et développement économique.

Je pourrais citer des entreprises plus petites et tout aussi intéressantes, mais qui sont moins connues.

Les banques sont particulièrement montrées du doigt. Les banques mutualistes sont-elles meilleures que les autres ?

Pierre-Yves Gomez : Les mutuelles comme les « Banque Populaire » ont un système de gouvernance complexe avec une construction intéressante équilibrant les caisses régionales assez indépendantes (mais moins qu’elles ne le furent et c’est un progrès) et la fédération nationale. Parmi les banques mutualistes, elles sont celles qui essaient de faire le plus d’efforts en termes de gouvernance.

Je voudrais aussi citer la Macif car c’est une société mutuelle qui me paraît très bien pensée en termes de gouvernance avec une articulation qui reste équilibrée entre les sociétaires et les techniciens de l’assurance.

Existe t-il des principes universels de gouvernement d’entreprise ?

Pierre-Yves Gomez : Il n’y a pas un exemple de « bonne gouvernance » mais des pratiques adaptées à un projet économique et humain collectif. Mais si les entreprises sont différentes par leur taille, leur histoire et leur stratégie, la manière de les gouverner est en revanche assez universelle. Dans une petite société comme dans une grande entreprise, on retrouve trois pouvoirs.
Le premier pouvoir est celui qui confirme la légitimité du dirigeant. C’est le « pouvoir souverain ». En général, il est détenu par les actionnaires, mais il peut être détenu par les coopérateurs dans une coopérative ou les sociétaires dans une société mutuelle. Le deuxième pouvoir est celui des dirigeants qui sont chargés de définir et de mettre en œuvre la stratégie de l’entreprise ; c’est le « pouvoir exécutif ».
Le troisième pouvoir est celui des conseils d’administration ou de surveillance et son rôle est de vérifier que le dirigeant agit conformément au mandat qui lui a été donné. C’est le « pouvoir de surveillance ».

Comment faire pour qu’il n’y ait pas d’interférences entre la gouvernance de l’entreprise et le management ?

Pierre-Yves Gomez : L’articulation entre ces trois pouvoirs définit le type de régime par lequel une entreprise est gouvernée. Parfois les pouvoirs sont assurés par les mêmes personnes, parfois, au contraire, ils sont détenus par des personnes différentes et sont donc séparés. Mais quel que soit le régime d’entreprise qui en résulte, trois principes s’imposent à toutes les entreprises. Il faut d’abord déterminer qui détient chaque pouvoir pour définir les responsabilités de chacun. Il faut ensuite éviter que les pouvoirs se superposent ou se chevauchent, ce qui crée des conflits et des zones d’irresponsabilité.
Enfin, il est nécessaire de construire une gouvernance qui ne remette pas en cause l’efficacité de l’entreprise et son fonctionnement économique. Il est donc préférable d’éviter les usines à gaz, les règles et les conflits inutiles.

Quelle peut être la valeur ajoutée des actionnaires de long terme dans le gouvernement d’entreprise aujourd’hui ?

Pierre-Yves Gomez : Les actionnaires sont responsables de la pérennité de l’entreprise. Ils assurent à la collectivité, aux autres parties prenantes comme les salariés, que l’entreprise va durer et qu’ils sont là pour y veiller. C’est dire donc que les actionnaires stables ont un rôle éminent. Cette dimension est centrale en système capitaliste. Depuis trois siècles, le capitalisme s’est développé parce que l’actionnariat stable, notamment familial, a permis l’accumulation de capital et la poursuite intergénérationnelle des aventures entrepreneuriales. Dans les zones économiques où ce type d’actionnariat n’existe pas, le capitalisme se délite ou n’arrive pas à s’imposer.
Aujourd’hui, dans une période de turbulences économiques mais aussi politiques, l’actionnariat de long terme est une force pour les entreprises. Il permet de maintenir des investissements sans nécessiter un retour de profit immédiat et peut donc donner plus de latitude aux entreprises.

Propos recueillis le 10 février 2012.

+ d’infos :

  • Pierre-Yves Gomez. Référentiel pour une gouvernance raisonnable des entreprises françaises, Rapport au Conseil d’administration de MiddleNext, Juin 2009 www.ifge-online.org/Referentiel.pdf
  • Pierre-Yves Gomez et Harry Korine. L’entreprise dans la démocratie. Editions De Boeck, 2009.